Michel Nedjar

Interview de Michel Nedjar

 

Noé On The Road : Sigmund Freud disait « Rendre la vie supportable est le premier devoir du vivant ». (Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (1915)

La création est-ce pour vous un moyen d’exorciser et ne pas oublier ?

Michel Nedjar : Je pense plutôt conjurer qu’exorciser. En 1976, j’ai voulu partir un mois au Mexique. Je suis finalement resté un an et demi. En rentrant, j’ai eu une grande mélancolie. Je n’étais vraiment pas bien. Je voulais m’en sortir sans aller à l’hôpital ni utiliser de médicaments mais grâce à la création. C’est la période où mes poupées sont devenues très sombres. Pendant 2 ans, nuit et jour, j’ai créé. J’avais rempli entièrement de créations trois petites chambres de bonnes que j’avais louées à Belleville. Je ne voyais plus personne. La création était salvatrice. Comme j’étais aussi tailleur, styliste-modéliste, j’ai eu besoin de déchirer des vêtements, de les mettre à l’envers, de les salir, de les tremper dans la boue… Tout part de la poupée. La poupée, c’est l’enfance. Dans mon travail, j’ai été très loin, comme dans une analyse, jusqu’à toucher le noyau de la vie.

NOTR : On dit que la 3ème génération après la Shoah est encore plus marquée que la deuxième génération. Vous a-t-on raconté l’histoire de votre famille pendant la guerre ?

MN : J’étais très attaché à ma grand-mère Adèle. Elle venait d’un petit village de Pologne, Lubartów, près de Lublin. Il ne reste plus rien de la présence juive dans ce village. Ma grand-mère a voulu venir en France car il y avait de nombreux pogroms, bien avant l’arrivée des Nazis. Elle ne voulait plus parler polonais quand elle était en France. Elle m’a beaucoup raconté son histoire mais pour moi cela n’a pas eu la même puissance que des images. Je suis quelqu’un de très visuel. C’est surtout le film « Nuit et Brouillard » d’Alain Resnais qui m’a beaucoup marqué en plus de l’histoire familiale.

NOTR : Pourquoi avoir alors choisi la voie artististique comme catharsis et non la voie médicale ?

MN : Le médical ce n’était pas possible. Je n’avais pas fait d’études. C’était trop conceptuel pour moi. J’étais ce qu’on appelle un cancre. En revanche, j’ai toujours dessiné. Je n’ai pas attendu le label artiste pour être artiste. Le manuel m’intéressait plus que le reste !

NOTR : C’est pourtant à la manière d’un chirurgien que vous avez confectionné des poupées de « chair et de sang » à destination de l’humanité.

MN : J’étais tailleur, styliste-modéliste, comme mon père qui avait un magasin à Barbès. Cela me plaisait beaucoup. Je suivais une tradition familiale. A un moment, j’ai vu que le monde de la mode était trop superficiel pour moi. Il me fallait quelque chose de plus solide.

NOTR : Vos poupées sont-elles à destination des enfants ? Ont-elles une vocation pédagogique ?

MN : Elles ne sont pas du tout pour les enfants. Elles leur font peur, ils les trouvent morbides parfois même si pour moi, elles ne le sont pas. J’aime discuter avec des adultes de mon travail. Les enfants préfèrent mes poupées de voyage, plus colorées, réalisées à partir de ce que j’ai ramassé par terre.

NOTR : Les poupées sont-elles pour vous un moyen de transmettre votre histoire ? Est-ce un devoir de mémoire ?

MN : Je n’ai pas de message particulier à transmettre avec les poupées, je n’ai pas cette prétention. Les poupées sont surtout un moyen de me recoudre, de me rapiécer, de combler la douleur…Elles n’ont pas de vocation mémorielle même si le public, en fonction de son histoire, peut y voir un message.

NOTR : Est-ce qu’aujourd’hui vous êtes quelqu’un de serein ?

MN : Vu ce qu’il se passe actuellement, vu l’état du monde, j’ai du mal à être serein. Je suis plutôt triste surtout quand je vois tous ces réfugiés, tous ces immigrants couchés dehors.

NOTR : Alors disons serein artistiquement car vous êtes un artiste reconnu, qui expose dans de nombreux endroits…

MN : Si vous voulez.

 

@Noé On The Road

 Jusqu’au 22 avril 2017

Galerie Christian Berst

3-5, passage des gravilliers 75003 Paris

contact@christianberst.com

mardi -samedi de 14h- 19h

+33 (0) 1 53 33 01 70

Entrée libre

Jusqu’au 4 juin 2017

Tous les jours sauf lundi

LaM – Lille Métropole, musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut

1 allée du Musée – 59650 Villeneuve d’Ascq

www.musee-lam.fr

10E/7E 10h-18h

 

 

 

 

 

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